THE STOOGES FUN HOUSE (1970)
"Le meilleur album de tous les temps" Jack White
Si je devais expliquer à un extraterrestre ce qu'est le rock, je lui ferais écouter Fun House...
Album halluciné, d'une violence et d'une sauvagerie inouïes, qui ferait passer le plus hard des groupes metal pour des membres d'une chorale paroissiale...
Curieusement, je n'ai découvert ce disque (et le suivant du même acabit "Raw Power") que des années après leur sortie. Sans doute, ne passaient-ils pas à la radio ( trop violents, trop bordéliques...).
Cultissime !!!
Wikipedia :
Fun House est le deuxième album des Stooges, produit par : Don Gallucci. Il a été édité pour la première fois le 18 août 1970. Un single en fut extrait :
Down On The Street. La réédition de 2005 contient des prises alternatives et les versions singles des chansons de l'album. Philippe Manoeuvre, le célèbre rédacteur en chef de Rock & Folk, le considère comme le meilleur album rock de tous les temps.
Tracklist Tous les titres ont été écrits par The Stooges.
Face A
- Down On The Street - 3:43
- Loose - 3:34
- T.V. Eye - 4:17
- Dirt - 7:03
Face B
- 1970 - 5:15
- Fun House - 7:47
- L.A. Blues - 4:57
Musiciens
- Iggy Pop - chant
- Dave Alexander - basse
- Ron Asheton - guitare
- Scott Asheton - batterie
- Steve MacKay - saxophone
Chronique sur Nightfall.fr:Un an après le premier, voici le second album des Stooges, dernier L.P. du groupe pour le label Elektra qui ne sera pas satisfait du style
invendable du groupe. Sous une pochette iconographiant leur musique,dans un rouge entre flammes et sang, et avec un titre en parfaiteosmose avec son contenu, Fun House fait entrer les quatre enfants terribles de Ann Arbor dans la légende. Imaginez-vous la banlieue de
Detroit, des immeubles, des usines, des cartiers résidentiels
décrépits. La grande cité dans tout ce qu’elle a de plus désespérant.
Au milieu des pavillons tous bâtis sur les même plans trône une maison
plus branlante que toutes les autres. Son jardin n’est sans doute pas
entretenu, quelques ordures y traînent très certainement, délaissées
par les éboueurs. Vous avez devant vous la Fun House, le quartier
général des Stooges. Dedans, l’atmosphère est enfumée, les veines
aspirent goulûment les drogues qu’on leur offre, et Iggy Pop imagine le
matériel de son premier chef d’œuvre.
Oubliez la production pataude de John Cale, l’ex-Kingsmen Don Gallucci
qui officie ici a su capter l’essence des Stooges comme personne
d’autre (et certainement mieux que David Bowie trois ans plus tard).
Enregistré en une semaine, consacrant chaque journée à un nouveau
morceau, Fun House sonne stoogien : live, brut, violent, fou. Le mur
sonore est un énorme monolithe d’acier écrasant de tout son poids le
silence ambiant. Album le plus assourdissant de l’époque, Fun House est
sans comparaison, superlatif, et indescriptible. Sa seule pochette en
serait en fait la meilleure critique, la meilleure image. On se répète
souvent ces dernières années l’anecdote de Jack White, l’âme des White
Stripes qui a redonné à Detroit ses lettres de noblesse rock,
découvrant ce terrible L.P. dans une poubelle derrière chez lui, et se
laissant envoûter par les Stooges. Cette anecdote, dont l’authenticité
ne présente aucune espèce d’intérêt, révèle tout du statut de Fun House
dans le paysage rock. C’est un épicentre, un briseur de vies. Cet ado
ou un autre, tous ceux qui comme lui sont tombés dans la marmite quand
ils étaient petits en ont été changés. Combien de jeunes groupes de
rock ont-ils appris à jouer sur ce disque ? Combien d’âmes déçues se
sont elles réconfortées en faisant tourner ces sillons sur leur platine
?
Avec le temps, la vieille masure décrépie fut donc classée monument
historique par les parangons du rock. Ce foutoir est devenu un mythe.
Mais bien sûr, parce qu’il s’agit de rock, que la musique parle au
corps et déconnecte l’esprit, parce que l’entrée de ce monument est
ouverte à tous, Fun House a échappé à la mort et à la poussière des
musées. Les flammes de sa pochette ne se sont jamais éteintes. Le sang
a continué de couler, et la drogue avec lui.
Bien meilleurs musiciens qu’à leurs débuts, arpentage de scènes et
répétitions forcenées aidant, les Stooges sont capables de choses
beaucoup plus grandes. Ce son qu’ils ont trouvé, maîtrisé et adopté
comme leur propriété exclusive, ils vont maintenant découvrir comment
l’exploiter à sa pleine puissance. Ils sont en quelques sortes
débarrassés de toutes attaches, débridés. Il n’y a que comme ça qu’un
Iggy Pop puisse gueuler son « I feel alright » à pleins poumons sur
1970, par dessus une ligne de basse en forme de grand huit. Du magma
sonore s’échappent deux instruments qui rendent Fun House unique :
cette basse, mixée en avant et guidant toutes les cavalcades du groupe,
et le saxophone de Steve McKay réintroduisant dans le rock des Stooges
leur goût premier pour l’expérimentation.
Dans la vision d’Iggy Pop,
c’est la curiosité à toutes les formes musicales qui apparaît ici. La
basse, c’est celle du funk et de la soul, ce rythme légendaire issu du
vaudou qui rend les musiques noires si vigoureuses. Le saxophone ténor
est noir, lui aussi, il nous vient de Coltrane. Free, libre, son timbre
de cuivre apporte une texture sonore originale à la seconde face, les
morceaux Fun House et 1970.Dans les cris, dans le bruit, les Stooges vont aller jusqu’à
l’extrémisme. Plus de We Will Fall branlant, mais leur propre
équivalent du bruit aberrant et déshumanisé de Sister Ray :
L.A. Blues.
Cinq minutes mixées à partir d’un jam quatre fois plus long. Un magma
de folie pure mêlant les hurlements d’Iggy à ceux des quatre
instruments. Tout se mélange pour former le son de la folie. Quand
toutes les couleurs sont assemblées, le résultat est le noir. Quand
tous les sons sont assemblés, c’est le bruit blanc qui déchire les
enceintes. Après sa pochette et son titre, c’est cette profession de
foi extrême qui forme le troisième élément descriptif de Fun House.
Equivalent sonore des mutilations d’Iggy sur scène, L.A. Blues fait
écho au Velvet Underground et annonce Metal Machine Music de Lou Reed.
A une plus faible échelle, il fait exploser les limites du rock.
Ce point de chute étant atteint, on peut en revenir à des structures
plus pertinentes, ne conservant que la folie nécessaire au génie et à
l’inspiration. La violence reste au centre de tout.
T.V. Eye impose le
riff le plus lourd et tranchant qui soit. Répété, répété, et même
repris après un blanc assourdissant en fin de pont. Cris de macaque
d’Iggy par dessus ça, psychopathe échappé de la jungle urbaine. La
transe vaudou évoquée plus haut devrait ici quitter les musiciens pour
s’emparer de leurs auditeurs. Communion via la musique, violence
exacerbant les personnalités.
Down On The Street et
Loose n’en font pas moins. Iggy hurle et éructe
beaucoup, avant de se décider à chanter. Et les Stooges travaillent au
plus pur des rocks. Equation parfaite de la section rythmique et de la
guitare du riffmeister, celle qui va expliquer à ceux qui n’ont pas
compris qu’il est temps d’abandonner tout espoir de consensualité
sociale et de commencer, enfin, à sauter partout. « Loose » (à hurler
avec autant de « o » que nécessaire), libérez vous, relâchez vous,
laissez vous aller. Les tambours martelés par Scott Asheton donnent le
rythme, le tempo que le corps humain ne peut pas refréner. Tout cela
fini dans le sexe, bien évidemment, comme toujours. Et Iggy de hurler «
I stick it deep inside » ou de raconter l’histoire de cette nana qui a
« l’œil T.V. » pour lui. Autant de déclinaisons parfaites de I Wanna Be
Your Dog, en attendant Penetration.
Plus loin, la transe prend une autre forme. Sombre, malsaine.
Réellement effrayante.
Dirt. La basse fait trembler les murs de la Fun
House qui menace de s’écrouler. Lente, sourde, elle martèle nos tympans
sept minutes durant, jusqu’à l’épuisement. Iggy narre les méandres de
son âme, salle et déchirée. Brûlant de l’intérieur, très exactement
comme il est représenté sur la pochette. C’est une icône du rock, un
sain à sa manière. Ce monde de souffrance et de désillusion est
transpercé de part en part par le gémissement ardent de la guitare, des
cordes tordues jusqu’à extinction de l’ampli lui même. Chaque cri
d’Iggy dans l’album nous amène vers un de ces solo de Ron Asheton qui
tresse des formes dans les airs alors que son frère Scott et Dave
Alexander restent pied à la grosse caisse, lourdement accrochés au
plancher des vaches.
Toujours cette basse, toujours ces cris, une batterie martelée, la
guitare égrillarde, puis le saxo qui vient compléter
Fun House comme
une épice exotique. Ce morceau final d’avant le L.A. Blues est le plus
jazz et donc le plus débridé. Il s’échappe tel un jam du MC5 période
Kick Out The Jams, et forme le pendant vif et sauvage, sans retenue, de
la transe de Dirt. Ces deux morceaux sont l’emblème de ce que les
Stooges ont fait sur leur second album et qui ne sera plus jamais
reproduit. Plus « classique »
, 1970 envoie le riff à cent à l’heure et
envoie les Stooges en orbite, géniaux, laissant le saxo le soin d’une
envolée lyrique pour un solo vraiment rock.
Utilisation parfaite de chacun des éléments du son unique que les
Stooges ont trouvé, Fun House est la drogue des âmes les plus violentes
du rock, un exutoire parfait à l’agressivité qui embrouille l’esprit.
La maison insalubre, passée au karsher, s’écroule dans un sursaut
salvateur pour le rock tout entier. A partir de ça, les 70’s vont
peut-être pouvoir faire quelque chose de bon, loin du hard-rock et du
prog qui n’ébranlent même pas des stades trop grands pour eux. Mais
tout ça, bien sur, est plus facile à dire aujourd’hui qu’en 1970.
Lassés de ce qu’ils considéraient comme les pitreries d’un trublion
sans intérêt, Elektra a lâché l’affaire. La drogue n’aidant pas les
choses, Iggy Pop est tombé bien bas, Dave Alexander est mort…
Heureusement il y aura Bowie, pour Raw Power, la remise en cause de
tout ce qu’a apporté Fun House. Déjà !
xsilence.net :La pierre angulaire, le classique, l'Himalaya rock... Chaque groupe se
formant après cette année 1970 l'a fait ou devrait le faire pour se
mesurer à ce gargantuesque album. Et ceux déjà en activité n'ont que
leurs yeux pour pleurer.
D'une violence sexuelle inouïe, ce
Fun House,
enregistré en prise directe pour que l'ensemble sonne dynamique (on
croit rêver en entendant le résultat...), est
l'album rock terminal où
les pulsions adolescentes, la violence urbaine et l'ennui se
télescopent pour donner naissance à une musique en fusion, une transe
rock tribale. Sept morceaux et pourtant on a l'impression que le groupe ne s'arrête
jamais, que le carnaval métallique ne ferme jamais ces portes. Tout
commence par la paire rageuse "Down On The Street" et "Loose", deux
rock à haute énergie où la dynamique du groupe fait chaud aux tripes.
La tension ne descend pas avec le bestial "TV Eye" et son rythme
impressionnant. Les Stooges décident à ce moment là de ralentir le
tempo pour un "Dirt" d'anthologie, un blues cramé totalement novateur
où la cohésion du gang laisse l'auditeur pantois. Sous l'impulsion d'un
Iguane totalement survolté, le groupe remet le bleu de chauffe pour de
titres possédés aux limites du free jazz. Le disque se termine sur LA
Blues, grand chaos sonique.
Depuis, personne ne s'en est remis et surtout pas le groupe qui explosa après sa sortie. Mais comment s'en remettre?
Gutsofdarkness.com :Du métal lourd en train de fondre, Iggy qui se répand en imprécations
sardoniques, des compositions primaires et brutales dont les structures
explosent et se liquéfient en improvisations incandescentes, avec le
fuzz envahissant de Ron Asheton, le marteau-piqueur de Scott, l'apport
du saxophoniste Steven McKay, qui part en roue libre et s'impose
immédiatement comme vrai un membre du groupe... Ce disque est le plus
emblématique des Stooges. Et c'est aussi leur meilleur, un manifeste
rouge de colère et noir de haine. Maison du plaisir ou maison des fous,
antre du jouir et de la souffrance d'où sortent des hurlements
tonitruants captés en live avec prise de son directe. Nous sommes en
1970 et jamais le rock ne s'était autant fait violence. Tout ce que la
musique populaire compte de plus rageur, sombre et brutal vient de là
(je laisse à chacun de le soin de trouver ses références). La force du
premier opus est pour ainsi dire décuplée. Cela se ressent dès les deux
premiers titres : son plus profond, rythmique plombée... de ce
heavy-blues primaire émane déjà l'intoxication du souffre, la brûlante
noirceur du basalte. Et puis le volcan se répand plus violemment encore
en épaisses couches de lave : dans "T.V. eye", Iggy est véritablement
en transe, aidé en cela par le riff oppressant et répétitif de Ron...
un damné ; et la possession démoniaque se pousuit sur le génialissime
"Dirt", vipère musicale rampante et venimeuse ; "1970" donne une suite
à "1969" puissance 10 ; "Fun house" n'est ni plus ni moins qu'une jam
session de free rock enragée ; et puis tout s'achève sur un "L.A.
blues" qui voit le groupe se répandre en giclées bruitistes
foudroyantes juste avant l'épuisement définitif. Un des grands moments
de l'histoire du rock.
écoute sur deezer :
http://www.deezer.com/#music/result/all/stooges%20fun%20house
PS A écouter à plein volume, au casque !