Huit chansons distinctes Come Together Ce titre qui ouvre l’album, un rock « funky » dont la couleur est largement donnée par la
ligne de basse de Paul McCartney, très présente, a été écrit par John Lennon. Il ébauche cette chanson pour la campagne de Timothy Leary, « Pape du LSD » et éphémère candidat au poste de gouverneur de l’état de Californie en 1969. « Come Together, join the party » est en effet son slogan. L’ébauche en question est réalisée sur sa guitare acoustique par John Lennon lors du « bed-in » de Montréal début juin 1969, où il enregistre aussi et publie Give Peace A Chance. Mais Come Together évolue considérablement tout en s’éloignant définitivement de son but initial. La chanson telle qu’elle atterrit sur l’album Abbey Road est en fait créée par tout le groupe en studio. Plusieurs paroles sont improvisées sur place dont les lignes « here comes old flat-top » qui vaudront un procès à John Lennon, pour les avoir empruntées à You Can’t Catch Me, une chanson de Chuck Berry. Come Together sort aussi en single « double face A », couplée avec Something et les deux titres sont n°1 aux États-Unis et un peu partout dans le monde. Le producteur George Martin écrit dans le livret du disque Love en 2006 que c’est une des chansons des Beatles qu’il préfère.
Something Seconde piste de l’album, il s'agira de la
seule face A d’un single des Beatles signée George Harrison. Elle est écrite dès octobre 1968, lors des sessions de l’album blanc. La première phrase de la chanson vient d’un titre de James Taylor, un artiste sous contrat avec Apple, Something In The Way She Moves. Les paroles définitives prennent forme durant les sessions du « projet Get back » en janvier 1969[11]. George Harrison ne la destine pas forcément aux Beatles, puisqu’il la propose dans un premier temps à Joe Cocker. Elle deviendra la chanson favorite de John Lennon sur le dernier album des Beatles, tandis que Paul McCartney la considère comme la meilleure de George Harrison. Frank Sinatra, qui l’a interprétée, a dit un jour que c'était sa « chanson préférée du tandem Lennon/McCartney ». George Harrison, devenu à la fin du groupe un auteur-compositeur affirmé, publie en fait ses deux chansons les plus abouties sur leur ultime album. Something devient le seul n°1 des Beatles qui ne porte pas la signature Lennon/McCartney, tandis que Here Comes the Sun sera beaucoup diffusée sur les ondes, bien que n’étant pas sortie en single.
Maxwell's Silver Hammer C'est une des chansons où
Paul McCartney évoque à mots couverts les mille tracas qui accompagnent la fin du groupe phare des années 1960 : un marteau d’argent s’abat en effet mortellement sur la tête des gens dès que les choses semblent aller mieux. Elle est répétée lors des sessions du « projet Get Back » en janvier 1969. L'enregistrement de la chanson s'étale sur trois jours, où Paul McCartney redemande incessamment à ses camarades de recommencer jusqu'à ce que le résultat soit parfait, ou lui convienne, ce qui provoque un certain mécontentement. Comme il l'avait déjà fait sept mois plus tôt, et comme on peut le voir dans le film Let It Be, c'est Mal Evans, l'assistant du groupe, qui frappe sur une grosse enclume amenée par ses soins dans le studio 2, à chaque Bang Bang de la chanson. D’après Geoff Emerick, John Lennon n’aimait pas du tout ce titre et a refusé de participer à son enregistrement. Il est vrai qu'il s'est amusé des efforts non concluants de Paul McCartney pour le sortir en single.
Oh! Darling Pour Oh Darling, son auteur Paul McCartney s’est beaucoup concentré sur sa voix, afin qu’elle soit puissante, revenant chaque jour aux studios, de préférence le matin, pour essayer d’en tirer la quintessence. John Lennon a déclaré qu’il aurait pu chanter ce titre, indiquant qu’il était beaucoup plus dans ses cordes que dans celles de son partenaire. Mais la tradition qui voulait que le compositeur d'une chanson en soit le chanteur principal a été suivie.
Octopus's Garden Octopus’s Garden est, avec Don't Pass Me By sur l'album blanc, un des deux titres composés par Ringo Starr avec les Beatles. Il n’est pas étonnant d’apprendre que l’inspiration pour cette chanson vint à Ringo lors de son escapade en Sardaigne, durant l’été 1968. Excédé, il avait décidé de partir en vacances et de laisser en plan les sessions de l’album blanc : « No one there to tell us what to do » (« personne pour nous dire ce que nous devons faire »), chante-t-il. Toutes les paroles sont bien du batteur des Beatles, quant à la structure musicale, elle est en partie écrite par George Harrison, comme on peut le voir dans le film Let It Be.
I Want You (She's So Heavy) Cette chanson de John Lennon comportant seulement 14 mots est le résultat de deux enregistrements distincts. La partie d’orgue est enregistrée par Billy Preston (non crédité sur l’album) lors de séances en février 1969, quelques jours après la fin des sessions du « projet Get Back », où la chanson est une première fois mise en boîte. Elle est ensuite mixée avec une autre version, réalisée durant l’enregistrement de l’album Abbey Road proprement dit, le tout atteignant pratiquement les 8 minutes, ce qui en fait la seconde chanson la plus longue des Beatles après l’expérimental Revolution 9. La première partie de la chanson utilise une grille de blues/rock classique (la, ré, mi), puis un break de basse suivi d'un « She’s so... », lance des arpèges de guitare durant lesquels les chœurs répètent « heavy, heavy, heavy ». Ces arpèges constituent toute la fin du morceau sur fond de bruitages produits par un synthétiseur Moog (l’effet « vent »). Durant le mixage du titre, sur la fin du morceau, alors que les arpèges déroulent à l’infini avec une basse multipliant les glissandos, John Lennon dit à l’ingénieur du son Geoff Emerick : « tu coupes là ! ». A 7 minutes et 44 secondes, la chanson s’arrête donc brutalement pour boucler la face A de l’album. On retiendra aussi que la date du 20 août 1969, jour où les quatre Beatles mettent la dernière touche à cette chanson, est celle où ils sont réunis en studio pour la toute dernière fois.
Here Comes the Sun Cette chanson, qui ouvre la face B, est la deuxième composition de George
Harrison sur cet album.
Il la compose dans le jardin de la propriété de son ami Eric Clapton, au printemps 1969, après s’être extrait d’une réunion très tendue dans les locaux d’Apple. Le rayon de soleil qui apparaît le détend et la chanson « vient toute seule ». Elle connaîtra un succès mondial, de nombreuses diffusions radio, bien que n'étant qu'une piste du dernier disque des Beatles.
Because Pour Because, John Lennon trouve l’inspiration dans la Sonate au Clair de Lune de Ludwig Van Beethoven, qu’il entend Yoko Ono interpréter au piano, avant de lui demander de la rejouer à l’envers. Because est caractérisée par l'harmonie à trois voix de Lennon, McCartney et Harrison réenregistrée trois fois, ce qui donne virtuellement neuf chanteurs. De nombreuses répétitions seront nécessaires pour « caler » les trois parties de chacun. Selon les souvenirs de Geoff Emerick, les Beatles étaient assis côte à côte autour du micro durant l’enregistrement de leur harmonie, avec un Ringo Starr inactif, mais bien présent auprès de ses camarades. Par ailleurs, en deux occasions (Anthology 3 en 1996 et Love en 2006), il sera donné d'entendre Because a cappella, c'est-à-dire uniquement l'harmonie à neuf voix, sans instrumentation.
Le medleyLes problèmes d'Apple Corps sont évoqués dans le medley d'Abbey Road.Le medley d’Abbey Road est un enchaînement de plusieurs chansons courtes — achevées et inachevées — écrites par John Lennon et Paul McCartney. Long de 16 minutes, le medley apparaît à la fin de l’album et est souvent considéré comme son « sommet ».
Assemblées par Paul McCartney et George Martin avec la collaboration de l’ensemble du groupe à l’été 1969, la plupart de ces chansons avaient été écrites et enregistrées séparément sous forme de démos — dont certaines se retrouvent sur la compilation Anthology 3 — à l’époque de l’album blanc et durant les sessions d'enregistrement du projet Get Back.
« Je crois que c'est une idée à moi d'avoir réuni tous ces éléments dispersés » dit Paul McCartney. « Mais je reste prudent en m'attribuant ce genre de projets. Ca me convient très bien que ce soit une idée collective. Au bout du compte, on a eu l'idée de tout mélanger et de donner à la seconde face une sorte de structure opératique.
C'était une idée formidable qui nous a permis de tirer parti d'une dizaine de chansons inachevées ».
« J'ai essayé avec Paul d'en revenir à la vielle manière de Pepper, de créer quelque chose qui ait vraiment de la valeur, et nous avons mis en forme la longue seconde face », raconte George Martin, « John s'est élevé avec force contre ce que nous faisions sur la face B, une face que Paul et moi avons presque élaborés seuls avec juste un coup de main des autres », affirme-t-il, « John a toujours été un Teddy Boy. C'était un rocker et il voulait un certain nombre de morceaux personnels. On a donc trouvé un compromis. Mais même sur cette seconde face, John a collaboré. Il arrivait et il apportait sa petite touche. Il avait son idée sur la façon de broder sur une mélodie. »
George Harrison explique de son côté : « Pendant l'enregistrement, les choses sont devenues un peu plus constructives, et même s'il y a eu des re-re (overdubs), on a dû jouer tout le medley. On a décidé de l'ordre des morceaux, enregistré la base et tout fait en une prise en passant d'un arrangement au suivant. A nouveau, on jouait un peu plus comme des musiciens... »
Le medley occupe presque toute la face B du 33 tours original, commençant juste après Here Comes the Sun et Because avec une chanson de Paul McCartney, You Never Give Me Your Money, qui constitue le thème musical principal de cette longue pièce, puisqu’il est rappelé plus loin, dans Carry That Weight. Dans les deux cas, Paul évoque d’ailleurs les tracas et frustrations du moment, les déboires financiers avec leur société Apple Corps, le fait qu’en guise d’argent sonnant et trébuchant, les Beatles ne recevaient que des « des drôles de papiers » (« funny papers ») qui s’avèrent être des relevés de compte et enfin, qu’il y aura un poids à porter pour longtemps.
You Never Give Me Your Money est suivi de trois compositions inachevées de John Lennon : Sun King — qui, comme Because, propose une harmonie multipliée par ré-enregistrement des trois voix de Paul McCartney, John Lennon et George Harrison, s’achève par une sorte de charabia italo-espagnol et finira par être proposé à l’envers sous le titre Gnik Nus sur l’album Love (2006) —, Mean Mr. Mustard et Polythene Pam — composées durant le voyage des Beatles en Inde chez le Maharishi Mahesh Yogi début 1968.
À la fin de Polythene Pam, on entend John Lennon lancer Oh look out! : quatre compositions de McCartney se succèdent alors. C’est d’abord une chanson complète, She Came in Through the Bathroom Window, inspirée d’un fait réel — une fan s’étant introduite chez lui par la fenêtre de sa salle de bains. Golden Slumbers arrive ensuite, avec les paroles d’une chanson du XVIIe siècle de Thomas Dekker que Paul McCartney découvrit sur une partition, devant un piano. Ne sachant pas lire la musique, il composa tout simplement sa propre mélodie. On continue avec Carry That Weight, qui inclut un couplet supplémentaire de You Never Give Me Your Money, et des harmonies des quatre Beatles. The End, enfin, termine le medley. Si on met de côté le cas particulier constitué par Her Majesty, la dernière chanson du dernier disque des Beatles s’appelle donc « la fin ».
The End présente la particularité de comporter le seul solo de batterie jamais joué avec les Beatles par Ringo Starr. N’étant pas amateur de ce genre de « démonstration », Ringo dut être convaincu par ses camarades. Il est suivi d’une « tournante » de solos de guitare joués tour à tour trois fois, dans l’ordre par McCartney, Harrison et Lennon, sur deux mesures chacun. Chacun dans son style, ce qui pour Paul reflétait leurs personnalités respectives. Ces solos sont enregistrés en direct, les trois Beatles côte à côte dans le studio avec leurs guitares, très affutés et pleins d'énergie, un des meilleurs moments de ces ultimes sessions de l'été 1969 selon Geoff Emerick.
Le medley s’achève par la fameuse phrase écrite par Paul McCartney et chantée en harmonie « and in the end, the love you take is equal to the love you make » (« et à la fin, tu prends autant d’amour que tu en as donné »), un vers « cosmique »selon John Lennon.Her Majesty « récupérée » La vraie dernière plage du dernier disque des Beatles est donc un morceau caché par un blanc de 15 secondes sur le sillon du 33 tours. Her Majesty est minuscule — 23 secondes — et parle d’une manière peu commune de la reine d’Angleterre. Elle se situait à l’origine au cœur du medley, entre Mean Mr. Mustard et Polythene Pam, et Paul McCartney avait demandé à John Kurlander, l’ingénieur du son en service, de la retirer. Mais ce dernier, à des fins de sauvegarde — la consigne était qu’aucun des enregistrements des Beatles ne devait être jeté à la poubelle — la placera en fin de bande, après un blanc, derrière The End, coupée nette, et en l’entendant ainsi positionnée, Paul donnera son accord. N’étant pas créditée au dos de la pochette originale du 33 tours, Her Majesty sera généralement considérée comme la première « chanson cachée » de l’histoire du rock.