From Destination rock
THE WALL, OU LA VOIE SACREE
Difficile de s’avouer amateur des seventies, voire même de rock en général, sans avoir entendu parler de The Wall. Ce disque est à lui seul un pan de la culture rock, un monument de la musique populaire en général, une référence musicale que chacun peut reconnaître. Il est de surcroît l’un des disques les plus vendus au monde, malgré son statut de double album conceptuel, tout en constituant l’un des sommets de l’œuvre de Pink Floyd. A vrai dire, la liste de superlatifs dont on pourrait parer ce disque est quasiment infinie. Néanmoins, il peut être bénéfique de revenir sur la genèse de cet enregistrement, une histoire que les connaisseurs ne connaissent que trop bien. Lors de la tournée Animals de 1977, Roger Waters fut tellement ulcéré par le comportement d’un spectateur montréalais qu’il lui cracha au visage. Gêné par sa propre réaction, le seigneur et maître de Pink Floyd imagina de construire un mur entre le groupe et le public, pour ainsi séparer la musique du spectacle. C’est ce qui fut le point de départ du concept de The Wall. Waters, prenant comme socle cette étrange idée de mur, bâtit peu à peu une histoire plus ou moins cohérente, écrivant un nombre important de chansons pour rendre le projet viable. Le tout dans un contexte particulièrement difficile, le groupe étant l’objet de lourdes pressions commerciales, avec les autres membres renâclant sous la dictature du bassiste.
Le résultat de ces séances tourmentées est marquant à plus d’un titre. Pas moins de vingt-six morceaux se pressent dans ces sillons, bien évidemment composés en écrasante majorité par Roger Waters. L’amateur éclairé de Pink Floyd se rend immédiatement compte de la différence de cet album par rapport aux œuvres précédentes du groupe ; en effet, ce dernier était considéré comme l’un des parangons du rock progressif, plus précisément du space-rock ou rock planant. La formation était réputée pour ses morceaux complexes, aériens, très longs, archétypes d’une exigence musicale rigoureuse tout en étant marqués par un sens de la mélodie et du rythme particulièrement sûr. Mais ici, on se retrouve face à une horde de titres courts, dont bon nombre dépassent à peine les deux minutes. C’est précisément une conséquence de la nature conceptuelle de l’album : chaque morceau marque une progression diégétique, faisant avancer l’histoire contée par le groupe. On peut regretter la perte des formes progressives de Pink Floyd, tant cet album semble éloigné des aventureux Meddle et Wish You Were Here. Il faut croire que l’ère n’était plus aux longs assauts instrumentaux, mais plutôt aux chansons pop courtes, immédiatement assimilables.
Malgré tout, il reste un certain esprit progressif dans l’album, de par la complexité de certaines structures, mais cela reste passager. L’album s’écoute plus comme un tout, comme une histoire complète, avec une narration longue, tortueuse. Le concept est tiré des élucubrations de Roger Waters, qui se place en antihéros à peine déguisé de cette éprouvante chronique de la misère affective. Il s’agit d’un personnage nommé Pink, dont le père est mort avant la naissance durant la seconde guerre mondiale, surprotégé par sa mère, qui devient rock star, se heurtant à de graves difficultés amoureuses et sociales le laissant meurtri. L’homme décide ainsi de construire un mur pour se soustraire au monde qui l’entoure, mur qui s’écroule finalement, laissant le héros anéanti. Le danger qui guette ce genre d’œuvres est que le concept prenne le pas sur la musique. Or, en l’occurrence, on ne peut pas dire que ce soit le cas, tant les chansons sont indépendantes. Mais on ne peut pas non plus dire que la musique domine la narration, tant l’œuvre semble cohérente. L’équilibre atteint entre les deux factions est assez subtil. Ceci est dû sans doute au travail d’arrangement du célèbre producteur Bob Ezrin, qui a aidé Waters dans la détermination conceptuelle ainsi que dans l’enchaînement des titres.
La musique, quant à elle, semble marquée par l’avènement du hard-rock commercial. Le son de guitare est souvent distordu, accompagné par une batterie proéminente. Cependant, l’album dégage une dimension quasi orchestrale, de par le travail d’Ezrin, qui a souvent montré son aptitude à mêler rock et sections symphoniques, comme par exemple sur le Berlin de Lou Reed. Les musiciens jouent admirablement. Waters chante ses parties avec une conviction désarmante, tout en interprétant d’imparables lignes de basse. Wright livre d’intéressantes nappes d’orgue, tandis que Nick Mason soutient le tout de sa frappe sèche et mate. Mais celui qui marque l’album entier de sa présence éthérée est bien sûr David Gilmour. L’homme maîtrise parfaitement sa guitare, et sa voix est d’une beauté, d’une pureté rarement égalées. On ne peut que saluer son travail sur Comfortably Numb, dont les solos restent encore aujourd’hui comme des chefs-d’œuvre absolus de guitare rock, mêlant à la fois technique et sensibilité, subjuguant l’auditeur des années après leur enregistrement. Les compositions ambitieuses, mêlées aux arrangements symphoniques et aux performances instrumentales, font de The Wall un des parangons du rock conceptuel. L’un de ses seuls défauts est malheureusement son statut de double album, qui dilue d’une certaine manière son impact.
Au même titre que Dark Side Of The Moon, The Wall est l’un des incontournables de l’œuvre floydienne. Nombre de ses chansons sont marquantes à plus d’un titre. Cependant, il apparaît avec le recul que l’âge d’or du groupe était déjà passé lors de la parution de l’album, du strict point de vue musical. Néanmoins, le public ne fut pas de cet avis, réservant au disque un accueil phénoménal, le portant au sommet de tous les classements occidentaux. C’est pourquoi The Wall restera à jamais l’un des jalons essentiels du rock. L’écouter aujourd’hui est toujours source de divertissement, voire d’admiration.
Hey you, version film. Magnifique !
Dernière édition par pilou le Dim 8 Fév - 11:51, édité 1 fois