Il est venu, il a chanté, il a vaincu. Vendredi 2 mars, Michel Polnareff, l'enfant chéri des années 1970, est remonté sur une scène française après 34 ans d'absence. C'est singulier et longtemps encore après le concert, en coulisses, on se creuse la tête pour trouver ailleurs pareil exemple. On est perplexe, et lui Polnareff, l'insaisissable, le fou, l'olibrius, salue la compagnie en rigolant et badine avec des journalistes - figure sociale longtemps assimilée par son entourage à des policiers en enquête perpétuelle ou à des paparazzis. Alors quoi ? Michel Polnareff a fait un bon concert, deux heures en première ligne, vingt-deux chansons. Pas de rappel. Aucun effondrement. Pas de coup de tête, de la gentillesse. Pour la prolongation du mythe, ce n'est pas ce qui se fait de mieux.
Pis : les rumeurs qui circulaient après les répétitions à Limoges sont confirmées : il n'a pas perdu sa voix. A 62 ans, le garçon est en très bonne forme vocale, avec son timbre unique, ses envolées en dérapage (Goodbye Marylou, 1989) et ses accents flûtés (L'Homme qui pleurait des larmes de verre, 1974), intacts.
Un bon concert, donc, un concert de reprises. Super préparé, très professionnel. Même pas le trac. Polnareff, à peine sorti d'un halo de lumières en tourbillon, le geste christique et pacificateur, se met à parler simple : "Je n'ai pas préparé de discours, mais je dirai : enfin !" avant d'entonner Je suis un homme (1970). C'est une entrée en matière maladroite et évidente.
Après trois décennies d'éloignement, autant de tracas financiers, moraux, artistiques, ophtalmologiques, qu'est-ce qui peut bien passer dans la tête du chanteur au moment où il entre en scène devant 16 000 fans en demande ? Rien, en apparence. Il y a comme une glaciation émotive, qui se rompt deux heures plus tard, quand il est temps de partir et que Polnareff voudrait rester. Et qu'en face on voudrait lui ôter ses lunettes, lui confisquer le micro anachronique qui lui encombre le visage, pour enfin voir l'artiste transpirer ! Mais tout a été pensé pour que jamais il ne trébuche ni ne faiblisse.
Un bon concert, donc, musclé, sans ennui, sans surprise. La scène est meublée d'une coquille de lumières et de néons (Jacques Longchamp). Dedans, sont installés sept musiciens très doués, tendance jazz-fusion côte Ouest. A la basse et à la direction musicale, Bunny Brunel, aux guitares Tony MacAlpine et Freddie Fox, aux claviers Brad Cole et Nick Smith, à la batterie Virgile Donati (avec un solo comme au bon vieux temps), aux percussions Mino Cinelu, seul Français au milieu de ce bataillon américain.
Des choristes en mini-jupe. Polnareff est un musicien très fin. Il sait habiller, déshabiller une chanson. Il est même caméléon, passant du binaire basique (Je cherche un job, 1972) à la haute voltige de Qui a tué grand-maman (1971), formidablement transformée en gospel sépia, avec chorale champêtre, piano et contrebasse.
LUNETTES GÉANTES SUSPENDUES
Dans la salle, il y a des fans en perruque blonde et lunettes blanches, et puis du beau monde, le tout-télévision, le premier ministre, Dominique de Villepin, des chanteurs, des acteurs, Line Renaud, qui en connaît un rayon sur Las Vegas, un spécialiste de la cataracte, un parolier, Jean-Loup Dabadie. Ce dernier chante avec la salle, en choeur, ces chansons écrites pour et avec Michel Polnareff : Lettre à France (1977), Holidays, On ira tous au paradis (1972), offerte au finale avec possibilité de karaoké - tout au long du spectacle, les écrans vidéo sont contenus dans une paire de lunettes géante suspendue. Pierre Delanoë, mort en 2006, n'est pas là pour reprendre Y'a qu'un cheveu ("sur la tête à Mathieu"), succès très folk québécois de 1973, ou Le Bal des Laze (chanson étrangement lyrique de 1968).
Et puis il y a un lâcher de papillotes argentées - en forme de lunettes, fétichisme oblige. Sur le son le site Internet polnaweb.com, une horloge a décompté les minutes et les secondes restantes avant le concert parisien. Le "Polna Day" ne met pas le feu, il excite. Polnareff a pris la tangente, il invite à l'ailleurs. Il n'est pas le nouveau héros national après la défection de Johnny Hallyday parti abriter ses gains en Suisse - mais il y a parfois des chassés croisés : en 1971, au Palais des sports, Polnareff avait été embauché comme pianiste et choriste par le futur porte-parole publicitaire d'Optique 2000.
Michel Polnareff est revenu pour prouver qu'une oeuvre est un patrimoine vivant, à élaguer, à enrichir. Polnareff, 1967-1975, ce sont huit ans hors du commun dans l'histoire de la chanson française. Alors qu'on lui fiche la paix, qu'on arrête de le pousser au crime au nom de la nouveauté obligatoire. De lui permettre de placer au même rang Ame câline, qu'il ne veut plus chanter, et Positions ou Ophélie flagrant des lits, échantillons balourds d'un album à venir, dont on espère, s'il est du même tonneau, qu'il ne sera jamais qu'une fausse promesse.
Palais omnisports de Paris-Bercy, jusqu'au 14 mars. A 20 h 30, dimanche à 18 heures, relâche les lundis. Quelques centaines de places "Carré d'or" (140 €) et quelques dizaines catégorie 1 et 2 (100 € et 78 €) étaient encore disponibles le 3 mars. Tél. : 08-92-39-0 1-00. Tournée à partir du 17 mars.
Véronique Mortaigne
LE MONDE