Lionel Rotcage peut se reposer
Cet homme aux centaines de vies, dont celle de journaliste, est décédé, à 58 ans.
Par Yves BIGOT
QUOTIDIEN : Mercredi 27 septembre 2006 - 06:00
Journaliste, patron de presse, aventurier humanitaire, chef d'entreprise, éminence grise financière et stratégique, producteur de disques, manager d'artistes, réalisateur de télévision, animateur de radio, hôtelier aux Bahamas, taxi, séducteur, musicien... Lionel Rotcage, fils de la chanteuse Régine et gendre du cinéaste John Boorman, a fini par succomber, hier, à 4 heures du matin, à un cancer du poumon diagnostiqué dès 2003, après une résistance typique de son exceptionnelle vitalité.
«Je suis journaliste», annonçait-il à 14 ans, à la fille de l'accueil du magazine vieille France Candide. Jacques Chancel, chef de rubrique sidéré, l'envoie interviewer Nicoletta. Quelques mois plus tard, via Paris-Jour, encore mineur, il est grand reporter à Match . On retrouve ce Marc Dacier de la génération rock dans la jungle amazonienne, où il attrape la malaria et le coup pour se servir des armes avec les garimperos. Dans la Grèce des colonels, au côté de Mélina Mercouri, il découvre un jour un de ses articles, en partie censuré, dans une version internationale de l'Obs. Dégoûté, il rejoint son père dans le textile, commande cent mille mètres de denim aux Etats-Unis, et se fait gifler par papa. Piqué, il en écoulera trente-trois millions de mètres pour son compte dans les années suivantes, montant des sociétés offshore, courant le monde en jet pour visiter ses usines, de Somosa (Nicaragua) à Hongkong. L'Amérique, où il a sa suite à l'année sur Sunset au Chateau Marmont, la Chine, l'Italie, où il invente le jean de couleurs vives, font sa fortune.
Dennis Hopper et les Touaregs
Mais, en 1971, un accident de voiture où périt son fils de 11 mois le secoue. A Adoor, au Kerala, dans la vallée des sept collines, il accède à la huitième vedanta avec un maître clopeur qui l'initie à «la rivière circulaire», concept qui le portera jusqu'au bout, contre douleur et morphine. En attendant, il est adopté pendant deux ans par les Indiens Jicarilla du Nouveau-Mexique, que lui ont présentés Dennis Hopper et Billy Gibbons de ZZ Top, avant de rallier les Touaregs et les Dogons en ethnoreporter. Cependant, il collabore à Rock & Folk, Libération , le Matin de Paris , dirige le Quotidien du médecin ou le Monde de la musique . En juillet 1978, il présente le festival de Montreux en direct sur Europe 1, où il réalisera aussi, entre autres, une nuit d'épouvante illustre avec Gainsbourg.
La presse restant sa passion, il lance avec Marshall Chess, héritier du prestigieux label de blues de Chicago et un temps manager des Stones, l'édition française de Rolling Stone en 1988. De même, il dirigera le magazine économique Challenges, ces deux titres attestant de lui un dauphin notoire du magnat Claude Perdriel une brouille grave mettant fin à l'épisode.
Auparavant, il aura épaulé Bob Geldof, qui dormait chez lui, sur un vieux canapé, avenue Parmentier, dans l'opération caritative historique Band Aid, qu'il relaiera en France trois ans durant en Actions Ecoles (ce qui le fait entrer dans les livres de classe) avec Daniel Balavoine, France Gall ou Michel Berger. Après le décès de ce dernier, il devient son légataire, produisant et manageant un temps parallèlement la carrière de France Gall.
Publicitaire et conseiller de Juquin
Simultanément à ces trois années consacrées à la famine en Afrique, il se lance dans la pub (pour Mercedes, Nestlé, etc.), et la télévision. Il produira ainsi sur M6 cinquante-deux numéros du magazine culturel la Sixième Dimension, s'associera pour une série de prime-time sur TF1 au réalisateur et producteur Guy Job, réalisant des documentaires et lançant les programmes de TV Fnac.
Car l'activiste Lionel Rotcage est également le conseiller stratégique de Jean-Louis Pétriat, président de la GMF. Spécialisé dans la gestion de crise, notre homme avait déjà orchestré la campagne de Pierre Juquin, conseillé Havas et même le gouvernement américain à l'occasion du Bicentenaire. Ami de Noam Chomsky, mais aussi de Chris Blackwell, Warren Beatty, Robert Palmer, Nathalie Delon (avec qui il réalise le film Ils appellent ça un «accident» ), Marianne Faithfull, Sly & Robbie, Bruce Springsteen, le chef apache Steve Martinez ou Rickie Lee Jones, caractériel à gueule d'acteur années 50, Rotcage était un esprit extrêmement libre, provocateur, déterminé à outrance, aussi dur avec les autres qu'avec lui-même, capable de folle générosité comme de colères tyranniques, d'élans et de désespoirs. Surtout, il était animé d'une pensée toujours différente, originale, en diagonale visionnaire.
Action humanitaire et hôtel de luxe
Eprouvé par Rolling Stone et son divorce avec Perdriel, il reprend du service dans l'humanitaire, en mission en Yougoslavie près de Bernard Kouchner, montant le premier convoi à Sarajevo avant même la visite de François Mitterrand. Puis, coutumier des ruptures radicales, il lance au milieu des années 90 un hôtel de luxe pour milliardaires américains et évadés fiscaux aux Bahamas. Sa dernière fortune. Rentré en métropole cancéreux et nanti, il produit encore, après ablation pulmonaire et coma de cinq semaines, un docu DVD du vrai gangster 50 Cent, boursicote, lance le rappeur Krimo HF, dévore Coetzee.
Né un 13 août 48, ce compagnon de route de Libération laisse une femme, Sylvie, une fille de 18 ans, Daphnée, et sa mère populaire. Son chien Claude, amateur de glaces pistache, qui l'avait précédé ad patres, était son modèle.
Cet homme aux centaines de vies, dont celle de journaliste, est décédé, à 58 ans.
Par Yves BIGOT
QUOTIDIEN : Mercredi 27 septembre 2006 - 06:00
Journaliste, patron de presse, aventurier humanitaire, chef d'entreprise, éminence grise financière et stratégique, producteur de disques, manager d'artistes, réalisateur de télévision, animateur de radio, hôtelier aux Bahamas, taxi, séducteur, musicien... Lionel Rotcage, fils de la chanteuse Régine et gendre du cinéaste John Boorman, a fini par succomber, hier, à 4 heures du matin, à un cancer du poumon diagnostiqué dès 2003, après une résistance typique de son exceptionnelle vitalité.
«Je suis journaliste», annonçait-il à 14 ans, à la fille de l'accueil du magazine vieille France Candide. Jacques Chancel, chef de rubrique sidéré, l'envoie interviewer Nicoletta. Quelques mois plus tard, via Paris-Jour, encore mineur, il est grand reporter à Match . On retrouve ce Marc Dacier de la génération rock dans la jungle amazonienne, où il attrape la malaria et le coup pour se servir des armes avec les garimperos. Dans la Grèce des colonels, au côté de Mélina Mercouri, il découvre un jour un de ses articles, en partie censuré, dans une version internationale de l'Obs. Dégoûté, il rejoint son père dans le textile, commande cent mille mètres de denim aux Etats-Unis, et se fait gifler par papa. Piqué, il en écoulera trente-trois millions de mètres pour son compte dans les années suivantes, montant des sociétés offshore, courant le monde en jet pour visiter ses usines, de Somosa (Nicaragua) à Hongkong. L'Amérique, où il a sa suite à l'année sur Sunset au Chateau Marmont, la Chine, l'Italie, où il invente le jean de couleurs vives, font sa fortune.
Dennis Hopper et les Touaregs
Mais, en 1971, un accident de voiture où périt son fils de 11 mois le secoue. A Adoor, au Kerala, dans la vallée des sept collines, il accède à la huitième vedanta avec un maître clopeur qui l'initie à «la rivière circulaire», concept qui le portera jusqu'au bout, contre douleur et morphine. En attendant, il est adopté pendant deux ans par les Indiens Jicarilla du Nouveau-Mexique, que lui ont présentés Dennis Hopper et Billy Gibbons de ZZ Top, avant de rallier les Touaregs et les Dogons en ethnoreporter. Cependant, il collabore à Rock & Folk, Libération , le Matin de Paris , dirige le Quotidien du médecin ou le Monde de la musique . En juillet 1978, il présente le festival de Montreux en direct sur Europe 1, où il réalisera aussi, entre autres, une nuit d'épouvante illustre avec Gainsbourg.
La presse restant sa passion, il lance avec Marshall Chess, héritier du prestigieux label de blues de Chicago et un temps manager des Stones, l'édition française de Rolling Stone en 1988. De même, il dirigera le magazine économique Challenges, ces deux titres attestant de lui un dauphin notoire du magnat Claude Perdriel une brouille grave mettant fin à l'épisode.
Auparavant, il aura épaulé Bob Geldof, qui dormait chez lui, sur un vieux canapé, avenue Parmentier, dans l'opération caritative historique Band Aid, qu'il relaiera en France trois ans durant en Actions Ecoles (ce qui le fait entrer dans les livres de classe) avec Daniel Balavoine, France Gall ou Michel Berger. Après le décès de ce dernier, il devient son légataire, produisant et manageant un temps parallèlement la carrière de France Gall.
Publicitaire et conseiller de Juquin
Simultanément à ces trois années consacrées à la famine en Afrique, il se lance dans la pub (pour Mercedes, Nestlé, etc.), et la télévision. Il produira ainsi sur M6 cinquante-deux numéros du magazine culturel la Sixième Dimension, s'associera pour une série de prime-time sur TF1 au réalisateur et producteur Guy Job, réalisant des documentaires et lançant les programmes de TV Fnac.
Car l'activiste Lionel Rotcage est également le conseiller stratégique de Jean-Louis Pétriat, président de la GMF. Spécialisé dans la gestion de crise, notre homme avait déjà orchestré la campagne de Pierre Juquin, conseillé Havas et même le gouvernement américain à l'occasion du Bicentenaire. Ami de Noam Chomsky, mais aussi de Chris Blackwell, Warren Beatty, Robert Palmer, Nathalie Delon (avec qui il réalise le film Ils appellent ça un «accident» ), Marianne Faithfull, Sly & Robbie, Bruce Springsteen, le chef apache Steve Martinez ou Rickie Lee Jones, caractériel à gueule d'acteur années 50, Rotcage était un esprit extrêmement libre, provocateur, déterminé à outrance, aussi dur avec les autres qu'avec lui-même, capable de folle générosité comme de colères tyranniques, d'élans et de désespoirs. Surtout, il était animé d'une pensée toujours différente, originale, en diagonale visionnaire.
Action humanitaire et hôtel de luxe
Eprouvé par Rolling Stone et son divorce avec Perdriel, il reprend du service dans l'humanitaire, en mission en Yougoslavie près de Bernard Kouchner, montant le premier convoi à Sarajevo avant même la visite de François Mitterrand. Puis, coutumier des ruptures radicales, il lance au milieu des années 90 un hôtel de luxe pour milliardaires américains et évadés fiscaux aux Bahamas. Sa dernière fortune. Rentré en métropole cancéreux et nanti, il produit encore, après ablation pulmonaire et coma de cinq semaines, un docu DVD du vrai gangster 50 Cent, boursicote, lance le rappeur Krimo HF, dévore Coetzee.
Né un 13 août 48, ce compagnon de route de Libération laisse une femme, Sylvie, une fille de 18 ans, Daphnée, et sa mère populaire. Son chien Claude, amateur de glaces pistache, qui l'avait précédé ad patres, était son modèle.