En attendant leur dernier opus "Stadium Arcadium" je vous laisse ici une interview de John Frusciante (guitariste de Red Hot).
Enjoy !
Frusciante en interwiew pour la presse Suisse
François Barras de "La Tribune de Genève" a eu la chance d'avoir un interview avec John Frusciante, guitariste des Red Hot Chili Peppers, à Los Angeles il y a quelques mois. Morceaux choisis ...
Blafard et émacié, le visage de John Frusciante en raconte plus qu'une biographie. A 35 ans, le Californien d'adoption en paraît dix de plus. Souvenir (?) encore vif d'une dérive narcotique qui l'exclu des Red Hot Chili Peppers entre 1992 et 1998…
Depuis son retour en grâce, l'artiste à temps complet (dix albums solo dans sa besace) endosse de temps à autre le costume de «plus grand guitariste du monde» - par exemple lorsqu'il s'agit de relever les compteurs au sein du groupe le plus atypique que la terre californienne a porté, mille fois destiné à l'auto combustion, mille et une fois revenu des morts pour s'imposer comme l'exemple d'intégrité rock projetée dans les rayons de la grande consommation.
Un neuvième album, Stadium Arcadium, en témoigne: entre bonne musique et respect de leur identité musicale, les Red Hot Chili Peppers ne choisissent pas. Le beurre et l'argent du beurre, crémeux comme ce profond fauteuil d'où seule émerge la tête de John Frusciante, regard fixe. Un ange passe qui, troublé, replonge à tire d'aile dans la fraîcheur hivernale de sa Cité.
Pour la première fois, vous osez le challenge du double album, une option qui avait souvent été envisagée, notamment pour Blood Sugar Sex Magik. Pourquoi avoir franchi le pas?
Parce que nous n'avions jamais achevé autant de chansons. D'habitude nous enregistrons 25 titres, Anthony pose sa voix sur 20 et nous en sortons finalement 15. Cette fois, nous avons bouclé 38 morceaux! A ce point, je considère même que n'en garder «que» 25 dans un double album constitue même une régression, proportionnellement parlant.
Je me suis battu pour un double de 30 titres! Quand tu écris une musique que tu juges satisfaisante, tu as envie de le diffuser à un maximum de gens, c'est humain. Chaque chanson de cet album mérite d'être transmise au public. Dieu ne nous a pas donné la musique pour le seul plaisir égoïste de ceux qui la composent et la jouent.
Justement, vous avez la réputation d'aimer jouer la musique, pas d'en parler. Comment abordez-vous la période de promotion de Stadium Arcadium?
Je me sens ok, la transition est un peu rapide entre la fin du mix et la sortie du disque. C'est un peu ma faute, j'ai voulu prendre beaucoup de temps pour peaufiner la production. J'ai enregistré énormément de backing vocals, d'overdubs de guitares, de traitements eléctroniques… Je savais que le mix ne pourrait pas être réglé en deux jours ! Nous avons dû trouver un compromis – Anthony voulait sortir l'album en automne dernier, moi je voulais prendre mon temps.
Aviez-vous déjà été à ce point impliqué dans la production d'un CD du groupe?
J'ai déjà été très présent pour le mix de By The Way. C'était la première fois que je m'attaquais à une production de cette importance – une énorme responsabilité pour un novice. Aujourd'hui, je sais où je vais. Je ne ferai pas porter le chapeau à quelqu'un d'autre pour les erreurs que je pourrais commettre, comme pour By The Way – pauvre Rick Rubin (ndlr: producteur du disque)! Là, tout le monde participe et donne son avis. Sauf Chad qui s'en fout, comme d'habitude! (Rire)
En tant que chanteur, vous avez sorti dix albums, dont huit en 2004! Votre site internet annonce d'ailleurs: «exit solo John, welcome Red Hot John». Vous adhérez à cette vision schizophrénique?
The Red Hot Chili Peppers sont ma priorité, pour toujours. Certains morceaux de l'album auraient pu être des titres de John Frusciante, comme Wet Sands que j'ai écrit quand nous étions en tournée. Mais franchement, quand un morceau avec un tel potentiel se présente à moi, j'ai envie de l'offrir au groupe ; quand une petite voix dans ma tête me propose de le donner, je le fais! Je garde uniquement les morceaux qui me ressemblent trop, qui portent trop de choses purement personnelles. D'ailleurs, en composant Stadium Arcadium, j'ai écrit dix-sept chansons pour mon prochain album. Je n'ai pas encore fini de décortiquer mon mini disc.
Pourquoi une telle fringale?
J'ai la certitude de posséder deux personnalités musicales. John qui écrit des chansons et les chante, et John qui joue de la guitare dans les Red Hot Chili Peppers. OK, je chante aussi pas mal en backing vocals, j'adore ça -- c'est fréquemment ce qui me plaît le plus chez les grands chanteurs, parfois même ce que j'écoute en priorité. Sur les disques de Marvin Gaye, des Bee Gees… Ces arrangements complexes sont une forme d'art mal reconnue.
Actuellement, Brandy me retourne la tête, son travail sur Afrodisiac est incroyable. Elle m'a beaucoup inspiré pour Stadium Arcadium. Bref, à cause ou grâce à cette personnalité double, je compose et enregistre non stop! Dès que j'ai eu six mois devant moi après By The Way, j'ai enregistré les 72 chansons écrites pendant la production de l'album! Je ne peux pas m'imaginer arrêter de jouer. En quatre ans, je me suis donné une semaine de repos.
Les influences éclatées de votre travail solo, de la new wave minimaliste aux folk songs, laissaient conjecturer un Red Hot Chili Peppers renouvelé. C'est du pur jus, pourtant.
Oui, sauf si tu te concentres sur la production des guitares, les textures. On peut y entendre l'apport de mes albums solo. Stadium n'est pas que la rencontre de quatre personnes qui jouent ensemble – c'est une expérience sonore. Les guitares ont été traitées analogiquement, sans synthés ni ordinateur. Seulement des grattes accélérées, ralenties, tournées à l'envers, en écho…
J'ai tout essayé pour te piéger le cerveau. Faire perdre les repères, mimer l'état hypnotique du rêve, abuser les sens. Tout ça je l'ai appris dans mon coin, notamment en bossant avec des synthés modulaires sur mes albums, principalement Inside of Emptiness.
Vous voyez-vous en guitariste ou en manipulateur sonore?
Les deux. La technicité à la guitare est accessoire. J'ai été influencé par Hendrix pour son jeu de guitare, mais surtout pour ses talents de producteur. On oublie souvent cette facette, mais Electric Ladyland est l'album le mieux mixé du monde! Un matériau constamment en mouvement, où tu peux sentir physiquement la symbiose entre les trois instruments.
Les hauts parleurs prennent organiquement vie. Hendrix était un artisan du son qui créait de gigantesques orgasmes soniques. C'est une source d'apprentissage infinie, et la création de Stadium lui doit beaucoup. Pour moi, jouer de la guitare ne veut plus dire frapper quelques cordes et bouger mes doigts sur un manche. Depuis Blood Sugar, j'apprends à penser moins en terme de notes ou de technique que de sons et de texture.
Stadium Arcadium salue pourtant le retour de la guitare démonstrative.
Je ne veux plus me donner de limites. J'ai réappris à jouer en revenant dans le groupe. A l'époque de Californication, mes doigts étaient encore faibles. J'ai affirmé ma technique avec By The Way. Et là je pousse le bouchon le plus loin possible: je veux que mon jeu soit puissant, tordu, ambitieux, bordélique. Que ça explose dans tous les sens. Rejeter l'idée de jouer propre et droit, encourager le sinueux, le méchant, jouer avant le rythme, après le rythme, parfois même SUR le rythme (Rire).
La plus belle façon de chanter la liberté est de laisser s'exprimer les instruments entre eux. Flea, Chad et moi avions besoin de nous défier: chacun voulait entraîner l'autre sur son terrain, le chahuter, montrer que les choses ne doivent pas être sages et jolies pour être ordonnées: le chaos peut être une forme d'ordre ; du contretemps peut naître la synchronisation. A cet égard, Flea et moi avons été influencés par la paire Clapton/Bruce de Cream.
Nous pouvons jouer deux lignes totalement différentes et néanmoins créer une dynamique homogène, du punch à l'état brut. Nous sommes tellement unis lui et moi… pas besoin de montrer cette cohésion en se contentant de riffs jumeaux. Mieux vaut jouer chacun «contre» l'autre et voir comment tout peut se marier. Tout se marie, à la fin…
Longtemps, les Red Hot Chili Peppers ont été organiquement liés à Los Angeles. Un certain hédonisme, un esprit jeune et radical. En quoi le groupe est-il toujours la bande-son de LA?
Il y a quelque chose de particulier à cette ville. L'océan, les collines… Je crois que l'énergie des groupes qui nous ont précédés habite encore Los Angeles. The Doors, les sixties, le punk, les lieux où vécurent The Beatles… Ce feeling s'est estompé dans les rues, c'est vrai: quand tu regardes des vieux films, tu te rends compte qu'une chaleur a disparu, la ville est devenue plus ordonnée, plus froide.
Mais il reste des endroits, des poches très singulières où la création existe. Pas pour les touristes. J'adore me balader dans certaines rues résidentielles, entre Melrose et Fairfax. Je me glisse dans les jardins et essaye d'imaginer la vie des habitants. Je flâne la nuit le long des trottoirs.
Parfois je glisse ma tête dans une porte entre-ouverte. Une sorte de fascination – j'adore Hollywood Boulevard. Au moins, cette avenue ne change pas, elle me rappelle mes premières années à Los Angeles, quand j'étais ado et que je traînais sur Sunset Boulevard.
Anthony Kiedis a sorti l'an passé sa biographie, Scar Tissue. L'avez-vous lue?
Non. Un ami l'a fait et m'a juré qu'Anthony ne disait pas de mal de moi. Au contraire. Ca m'a fait plaisir de le savoir. De toute façon, je ne crois pas qu'Anthony avait envie que je la lise… C'était un bon moyen pour lui de faire le point, un «cleaning out» nécessaire.
Je l'ai fait aussi pendant longtemps en couchant sur papier mes superstitions et mes peurs. Ca permet de libérer de l'espace dans sa tête -- ce qui s'est produit pour Anthony, apparemment: après la sortie du livre, il a écrit les paroles de 38 chansons! Incroyable de sa part.
Au regard de votre expérience, l'exercice de la bio vous tente?
Je veux écrire, mais je ne le ferai pas comme une biographie de rockstar. Je vois un essai plus «philosophique», j'ignore sous quelle forme. Je pense avoir quelque chose à dire aux gens par un autre moyen que ma guitare et mes chansons.
Dans Scar Tissue, Kiedis avoue demeurer sur le fil du rasoir dans sa relation à l'héroïne. Comment le groupe vit-il cette menace?
(Il réfléchit) Anthony est assez fort pour… Il aime tellement son boulot dans le groupe, il aime sa vie. Il y tient… Si cet «esprit» l'emporte parfois, il sait aussi rester lucide et stable. Il faut accepter son accoutumance, parfois: essayer de décrocher à tout prix, puis replonger un peu plus à chaque rechute, peut se révéler la pire solution. Et puis… c'est l'ordre des choses. Tu peux mourir à n'importe quel moment. C'est la vie.
Et vous-même? Eviter de plonger est-il un exercice quotidien?
Oh non! Moi… je ne suis pas clean. Je suis le cas typique du (Grosse hésitation)… I'm an addict, you know. Je dois vivre avec… Garder cela à un niveau acceptable. J'exerce ma volonté tous les jours, j'ai appris à ne plus laisser mes désirs prendre le dessus. Je garde les choses sous contrôle. Un minimum.
Enjoy !
Frusciante en interwiew pour la presse Suisse
François Barras de "La Tribune de Genève" a eu la chance d'avoir un interview avec John Frusciante, guitariste des Red Hot Chili Peppers, à Los Angeles il y a quelques mois. Morceaux choisis ...
Blafard et émacié, le visage de John Frusciante en raconte plus qu'une biographie. A 35 ans, le Californien d'adoption en paraît dix de plus. Souvenir (?) encore vif d'une dérive narcotique qui l'exclu des Red Hot Chili Peppers entre 1992 et 1998…
Depuis son retour en grâce, l'artiste à temps complet (dix albums solo dans sa besace) endosse de temps à autre le costume de «plus grand guitariste du monde» - par exemple lorsqu'il s'agit de relever les compteurs au sein du groupe le plus atypique que la terre californienne a porté, mille fois destiné à l'auto combustion, mille et une fois revenu des morts pour s'imposer comme l'exemple d'intégrité rock projetée dans les rayons de la grande consommation.
Un neuvième album, Stadium Arcadium, en témoigne: entre bonne musique et respect de leur identité musicale, les Red Hot Chili Peppers ne choisissent pas. Le beurre et l'argent du beurre, crémeux comme ce profond fauteuil d'où seule émerge la tête de John Frusciante, regard fixe. Un ange passe qui, troublé, replonge à tire d'aile dans la fraîcheur hivernale de sa Cité.
Pour la première fois, vous osez le challenge du double album, une option qui avait souvent été envisagée, notamment pour Blood Sugar Sex Magik. Pourquoi avoir franchi le pas?
Parce que nous n'avions jamais achevé autant de chansons. D'habitude nous enregistrons 25 titres, Anthony pose sa voix sur 20 et nous en sortons finalement 15. Cette fois, nous avons bouclé 38 morceaux! A ce point, je considère même que n'en garder «que» 25 dans un double album constitue même une régression, proportionnellement parlant.
Je me suis battu pour un double de 30 titres! Quand tu écris une musique que tu juges satisfaisante, tu as envie de le diffuser à un maximum de gens, c'est humain. Chaque chanson de cet album mérite d'être transmise au public. Dieu ne nous a pas donné la musique pour le seul plaisir égoïste de ceux qui la composent et la jouent.
Justement, vous avez la réputation d'aimer jouer la musique, pas d'en parler. Comment abordez-vous la période de promotion de Stadium Arcadium?
Je me sens ok, la transition est un peu rapide entre la fin du mix et la sortie du disque. C'est un peu ma faute, j'ai voulu prendre beaucoup de temps pour peaufiner la production. J'ai enregistré énormément de backing vocals, d'overdubs de guitares, de traitements eléctroniques… Je savais que le mix ne pourrait pas être réglé en deux jours ! Nous avons dû trouver un compromis – Anthony voulait sortir l'album en automne dernier, moi je voulais prendre mon temps.
Aviez-vous déjà été à ce point impliqué dans la production d'un CD du groupe?
J'ai déjà été très présent pour le mix de By The Way. C'était la première fois que je m'attaquais à une production de cette importance – une énorme responsabilité pour un novice. Aujourd'hui, je sais où je vais. Je ne ferai pas porter le chapeau à quelqu'un d'autre pour les erreurs que je pourrais commettre, comme pour By The Way – pauvre Rick Rubin (ndlr: producteur du disque)! Là, tout le monde participe et donne son avis. Sauf Chad qui s'en fout, comme d'habitude! (Rire)
En tant que chanteur, vous avez sorti dix albums, dont huit en 2004! Votre site internet annonce d'ailleurs: «exit solo John, welcome Red Hot John». Vous adhérez à cette vision schizophrénique?
The Red Hot Chili Peppers sont ma priorité, pour toujours. Certains morceaux de l'album auraient pu être des titres de John Frusciante, comme Wet Sands que j'ai écrit quand nous étions en tournée. Mais franchement, quand un morceau avec un tel potentiel se présente à moi, j'ai envie de l'offrir au groupe ; quand une petite voix dans ma tête me propose de le donner, je le fais! Je garde uniquement les morceaux qui me ressemblent trop, qui portent trop de choses purement personnelles. D'ailleurs, en composant Stadium Arcadium, j'ai écrit dix-sept chansons pour mon prochain album. Je n'ai pas encore fini de décortiquer mon mini disc.
Pourquoi une telle fringale?
J'ai la certitude de posséder deux personnalités musicales. John qui écrit des chansons et les chante, et John qui joue de la guitare dans les Red Hot Chili Peppers. OK, je chante aussi pas mal en backing vocals, j'adore ça -- c'est fréquemment ce qui me plaît le plus chez les grands chanteurs, parfois même ce que j'écoute en priorité. Sur les disques de Marvin Gaye, des Bee Gees… Ces arrangements complexes sont une forme d'art mal reconnue.
Actuellement, Brandy me retourne la tête, son travail sur Afrodisiac est incroyable. Elle m'a beaucoup inspiré pour Stadium Arcadium. Bref, à cause ou grâce à cette personnalité double, je compose et enregistre non stop! Dès que j'ai eu six mois devant moi après By The Way, j'ai enregistré les 72 chansons écrites pendant la production de l'album! Je ne peux pas m'imaginer arrêter de jouer. En quatre ans, je me suis donné une semaine de repos.
Les influences éclatées de votre travail solo, de la new wave minimaliste aux folk songs, laissaient conjecturer un Red Hot Chili Peppers renouvelé. C'est du pur jus, pourtant.
Oui, sauf si tu te concentres sur la production des guitares, les textures. On peut y entendre l'apport de mes albums solo. Stadium n'est pas que la rencontre de quatre personnes qui jouent ensemble – c'est une expérience sonore. Les guitares ont été traitées analogiquement, sans synthés ni ordinateur. Seulement des grattes accélérées, ralenties, tournées à l'envers, en écho…
J'ai tout essayé pour te piéger le cerveau. Faire perdre les repères, mimer l'état hypnotique du rêve, abuser les sens. Tout ça je l'ai appris dans mon coin, notamment en bossant avec des synthés modulaires sur mes albums, principalement Inside of Emptiness.
Vous voyez-vous en guitariste ou en manipulateur sonore?
Les deux. La technicité à la guitare est accessoire. J'ai été influencé par Hendrix pour son jeu de guitare, mais surtout pour ses talents de producteur. On oublie souvent cette facette, mais Electric Ladyland est l'album le mieux mixé du monde! Un matériau constamment en mouvement, où tu peux sentir physiquement la symbiose entre les trois instruments.
Les hauts parleurs prennent organiquement vie. Hendrix était un artisan du son qui créait de gigantesques orgasmes soniques. C'est une source d'apprentissage infinie, et la création de Stadium lui doit beaucoup. Pour moi, jouer de la guitare ne veut plus dire frapper quelques cordes et bouger mes doigts sur un manche. Depuis Blood Sugar, j'apprends à penser moins en terme de notes ou de technique que de sons et de texture.
Stadium Arcadium salue pourtant le retour de la guitare démonstrative.
Je ne veux plus me donner de limites. J'ai réappris à jouer en revenant dans le groupe. A l'époque de Californication, mes doigts étaient encore faibles. J'ai affirmé ma technique avec By The Way. Et là je pousse le bouchon le plus loin possible: je veux que mon jeu soit puissant, tordu, ambitieux, bordélique. Que ça explose dans tous les sens. Rejeter l'idée de jouer propre et droit, encourager le sinueux, le méchant, jouer avant le rythme, après le rythme, parfois même SUR le rythme (Rire).
La plus belle façon de chanter la liberté est de laisser s'exprimer les instruments entre eux. Flea, Chad et moi avions besoin de nous défier: chacun voulait entraîner l'autre sur son terrain, le chahuter, montrer que les choses ne doivent pas être sages et jolies pour être ordonnées: le chaos peut être une forme d'ordre ; du contretemps peut naître la synchronisation. A cet égard, Flea et moi avons été influencés par la paire Clapton/Bruce de Cream.
Nous pouvons jouer deux lignes totalement différentes et néanmoins créer une dynamique homogène, du punch à l'état brut. Nous sommes tellement unis lui et moi… pas besoin de montrer cette cohésion en se contentant de riffs jumeaux. Mieux vaut jouer chacun «contre» l'autre et voir comment tout peut se marier. Tout se marie, à la fin…
Longtemps, les Red Hot Chili Peppers ont été organiquement liés à Los Angeles. Un certain hédonisme, un esprit jeune et radical. En quoi le groupe est-il toujours la bande-son de LA?
Il y a quelque chose de particulier à cette ville. L'océan, les collines… Je crois que l'énergie des groupes qui nous ont précédés habite encore Los Angeles. The Doors, les sixties, le punk, les lieux où vécurent The Beatles… Ce feeling s'est estompé dans les rues, c'est vrai: quand tu regardes des vieux films, tu te rends compte qu'une chaleur a disparu, la ville est devenue plus ordonnée, plus froide.
Mais il reste des endroits, des poches très singulières où la création existe. Pas pour les touristes. J'adore me balader dans certaines rues résidentielles, entre Melrose et Fairfax. Je me glisse dans les jardins et essaye d'imaginer la vie des habitants. Je flâne la nuit le long des trottoirs.
Parfois je glisse ma tête dans une porte entre-ouverte. Une sorte de fascination – j'adore Hollywood Boulevard. Au moins, cette avenue ne change pas, elle me rappelle mes premières années à Los Angeles, quand j'étais ado et que je traînais sur Sunset Boulevard.
Anthony Kiedis a sorti l'an passé sa biographie, Scar Tissue. L'avez-vous lue?
Non. Un ami l'a fait et m'a juré qu'Anthony ne disait pas de mal de moi. Au contraire. Ca m'a fait plaisir de le savoir. De toute façon, je ne crois pas qu'Anthony avait envie que je la lise… C'était un bon moyen pour lui de faire le point, un «cleaning out» nécessaire.
Je l'ai fait aussi pendant longtemps en couchant sur papier mes superstitions et mes peurs. Ca permet de libérer de l'espace dans sa tête -- ce qui s'est produit pour Anthony, apparemment: après la sortie du livre, il a écrit les paroles de 38 chansons! Incroyable de sa part.
Au regard de votre expérience, l'exercice de la bio vous tente?
Je veux écrire, mais je ne le ferai pas comme une biographie de rockstar. Je vois un essai plus «philosophique», j'ignore sous quelle forme. Je pense avoir quelque chose à dire aux gens par un autre moyen que ma guitare et mes chansons.
Dans Scar Tissue, Kiedis avoue demeurer sur le fil du rasoir dans sa relation à l'héroïne. Comment le groupe vit-il cette menace?
(Il réfléchit) Anthony est assez fort pour… Il aime tellement son boulot dans le groupe, il aime sa vie. Il y tient… Si cet «esprit» l'emporte parfois, il sait aussi rester lucide et stable. Il faut accepter son accoutumance, parfois: essayer de décrocher à tout prix, puis replonger un peu plus à chaque rechute, peut se révéler la pire solution. Et puis… c'est l'ordre des choses. Tu peux mourir à n'importe quel moment. C'est la vie.
Et vous-même? Eviter de plonger est-il un exercice quotidien?
Oh non! Moi… je ne suis pas clean. Je suis le cas typique du (Grosse hésitation)… I'm an addict, you know. Je dois vivre avec… Garder cela à un niveau acceptable. J'exerce ma volonté tous les jours, j'ai appris à ne plus laisser mes désirs prendre le dessus. Je garde les choses sous contrôle. Un minimum.